Saint François et le sultan
Saint François et le sultan
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Réalisation septembre 2015
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Novembre 2018
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Décembre 2018
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Juin 2020
La Rencontre de Saint François et du Sultan dans les Sources Franciscaines
1- Dans la Vita Prima de Thomas de Celano, chapitre 20
Désir du martyre. Voyages en Espagne et en Syrie. Comment Dieu, par son intervention, tira d’affaire les matelots en multipliant les vivres.
Brûlant d’amour pour Dieu, le bienheureux Père François voulait toujours se lancer en de grandes aventures, et son grand cœur ambitionnait d’atteindre, en suivant le chemin des volontés de Dieu, le sommet de la perfection. La sixième année qui suivit sa conversion , brûlant de désir pour le martyre, il résolut de passer en Syrie pour prêcher la foi chrétienne et la pénitence aux Sarrasins et autres infidèles. Il embarqua donc, mais les vents leur furent contraires et il se retrouva sur les côtes d’Esclavonie avec tous les passagers ; ses grands espoirs étaient trompés.
Il attendit quelque temps, puis, comme il n’était plus possible cette année-là de gagner la Syrie, il trouva un équipage qui allait appareiller pour Ancône et sollicita d’être pris à bord. Mais il n’avait pas de quoi payer ; les matelots refusèrent catégoriquement. Le saint, alors, s’en remettant complètement à la bonté de Dieu, se glissa subrepticement dans le navire avec son compagnon. La Providence veillait : un inconnu se présenta, porteur de victuailles ; il fit signe à l’un des passagers, homme craignant Dieu, et lui dit : « Tiens, ne manque pas de distribuer tout ceci aux pauvres cachés à bord chaque fois qu’ils en auront besoin ! » Or une tempête affreuse s’éleva ; il fallut ramer des jours entiers, les réserves s’épuisèrent ; bientôt ne restèrent plus que les provisions du pauvre François. Mais la bonté et la puissance de Dieu les multiplièrent si bien que, durant toute la fin de la traversée, elles suffirent largement aux besoins de tous jusqu’à Ancône. Et les marins, voyant qu’ils avaient échappé au péril de la mer à cause de François le serviteur de Dieu, rendirent grâces au Dieu tout-puissant qui, en la personne de ses serviteurs, se montre toujours aimable et admirable.
François, le serviteur du Dieu très-haut, tourna le dos à la mer et s’en fut parcourir la terre ; il la retourna du soc de sa parole et répandit le bon grain de la Vie qui fournit d’amples moissons ; très nombreux en effet vinrent pour partager sa vie et son idéal des hommes dignes et généreux, clercs et laïcs, qui, touchés par la grâce du Très-Haut, voulaient fuir le monde et s’arracher courageusement au démon. Mais si l’arbre évangélique produisait à profusion des fruits de qualité, le sublime désir du martyre n’en demeurait pas moins ardent au cœur de François. Aussi prit-il peu après le chemin du Maroc pour prêcher l’Evangile du Christ au Miramolin et à ses coreligionnaires . Le désir qu’il l’y portait était si puissant qu’il distançait parfois son compagnon de route et courait, ivre de l’Esprit, réaliser son projet. Mais Dieu dans sa bonté voulut bien se soucier de moi et de beaucoup d’autres : François était déjà rendu en Espagne quand Dieu lui résista en face et, pour l’empêcher d’aller plus loin, le frappa d’une maladie qui le força d’interrompre son voyage.
Peu après son retour à Sainte-Marie de la Portioncule, de nouveaux disciples se présentèrent, nobles et lettrés. Avec sa noblesse d’âme et son rare sens des situations, il sut les recevoir avec honneur et dignité, rendant à chacun ce qui lui était dû. Doué vraiment d’un discernement exquis, il tenait compte de la valeur et de la position d’un chacun. Mais il ne trouverait pas de repos pour son âme tant qu’il n’aurait pas donné libre carrière à ses élans. C’est pourquoi, la treizième année qui suivit sa conversion, il fit voile vers la Syrie où les chrétiens soutenaient chaque jour contre les païens de durs et d’héroïques combats. Il prit un compagnon et sans crainte partit affronter le Sultan des Sarrasins.
Qui pourrait nous le décrire tenant tête avec intrépidité, parlant avec courage, répondant avec assurance et chaleur à ceux qui insultaient la religion du Christ ? Car il fut arrêté par les gardes avant même d’arriver au Sultan, accablé d’injures et de coups, mais il ne frémit pas ; on le menace de mort, il ne se trouble pas ; on lui promet le supplice, il ne s’émeut pas. Après avoir été le jouet de tant de haine, il fut enfin reçu avec beaucoup de courtoisie par le Sultan qui lui donna tous les signes de faveur et lui offrit de nombreux cadeaux pour essayer de fléchir ainsi son âme vers les richesses du monde. Mais à constater que François repoussait énergiquement tous ces biens, il demeura stupéfait, le regardant comme un homme extraordinaire ; il l’écoutait volontiers et se sentait pénétré par sa parole… Mais ici encore le Seigneur refusa d’exaucer les désirs du saint : il se réservait de lui accorder la faveur toute particulière d’une autre grâce.
2- Dans la Legenda Major de Saint Bonvaventure 9, 6-9
Mais la ferveur de son amour ne put laisser son âme en repos ; une troisième fois il tenta de passer chez les infidèles pour favoriser, en y répandant son sang, l’expansion de la foi en la sainte Trinité, et, la treizième année qui suivit sa conversion, partit pour la Syrie, s’exposant avec courage aux dangers de tous les instants, pour arriver chez le sultan de Babylone en personne. La guerre sévissait alors, implacable entre chrétiens et sarrazins, et les deux armées ayant pris position face à face dans la plaine, on ne pouvait sans risquer sa vie passer de l’une à l’autre. Le sultan d’ailleurs avait publié un édit cruel promettant un besant d’or en récompense à quiconque apporterait la tête d’un chrétien. Mais dans l’espoir d’obtenir sans tarder ce qu’il désirait, François, le vaillant chevalier du Christ, résolut de s’y rendre : loin de craindre la mort, il se sentait attiré par elle. Après avoir prié, il obtint la force du Seigneur et, plein de confiance, chanta ce verset du Prophète : Si j’ai à marcher au milieu des ombres de la mort, je ne craindrai aucun mal, car tu es avec moi.
S’étant adjoint pour compagnon frère Illuminé, homme d’intelligence et de courage, il s’était à peine mis en route qu’il rencontrait deux brebis ; à leur vue il se sentit tout réjoui et dit à son compagnon : « Aie confiance dans le Seigneur, frère, car voici accompli pour nous cet avertissement de l’Évangile : Je vous envoie comme des brebis parmi les loups… » Quelques pas plus loin ils tombaient dans les avant-postes des sarrazins, et ceux-ci, plus rapides que les loups se jetant sur les brebis, se précipitèrent brutalement sur eux et s’en saisirent avec haine et cruauté, les accablant d’injures, les chargeant de chaînes et les rouant de coups. A la fin, après les avoir maltraités et meurtris de toutes manières, ils les amenèrent, conformément aux décrets de la divine Providence, en présence du sultan : c’était ce qu’avait désiré l’homme de Dieu.
Le prince leur demanda qui les envoyait, pourquoi et à quel titre, et comment ils avaient fait pour venir ; avec sa belle assurance, le serviteur du Christ François répondit qu’il avait été envoyé d’au-delà des mers non par un homme mais par le Dieu très-haut pour lui indiquer, à lui et à son peuple, la voie du salut et leur annoncer l’Évangile qui est la vérité. Puis il prêcha au sultan Dieu Trinité et Jésus sauveur du monde, avec une telle vigueur de pensée, une telle force d’âme et une telle ferveur d’esprit qu’en lui vraiment se réalisait de façon éclatante ce verset de l’Évangile : Je mettrai dans votre bouche une sagesse à laquelle tous vos ennemis ne pourront ni résister ni contredire.
Témoin en effet de cette ardeur et de ce courage, le sultan l’écoutait avec plaisir et le pressait de prolonger son séjour près de lui; mais le serviteur du Christ, instruit par une indication du ciel, lui dit : « Si tu veux te convertir au Christ, et ton peuple avec toi, c’est très volontiers que, pour son amour, je resterai parmi vous. Si tu hésites à quitter pour la foi du Christ la loi de Mahomet, ordonne qu’on allume un immense brasier où j’entrerai avec tes prêtres, et tu sauras alors quelle est la plus certaine et la plus sainte des deux croyances, celle que tu dois tenir. » – « Je doute, remarqua le sultan, qu’un de mes prêtres veuille pour sa foi s’exposer au feu ou subir quelque tourment. » Il venait en effet d’apercevoir l’un de ses prêtres, pontife éminent et avancé en âge pourtant, s’éclipser en entendant la proposition de François.
Le saint lui dit alors : « Si tu veux me promettre, en ton nom et au nom de ton peuple, que vous passez tous au culte du Christ pourvu que je sorte des flammes sans mal, j’affronterai seul le feu. Si je suis brûlé, ne l’attribuez qu’à mes péchés ; mais si la puissance de Dieu me protège, reconnaissez pour vrai Dieu, seigneur et sauveur de tous les hommes, le Christ, puissance et sagesse de Dieu ! » Le sultan n’osa point accepter ce contrat aléatoire par crainte d’un soulèvement populaire ; mais il lui offrit de nombreux et riches cadeaux que l’homme de Dieu méprisa comme de la boue : ce n’était pas des richesses du monde qu’il était avide, mais du salut des âmes. Le sultan n’en conçut que plus de dévotion encore pour lui, à constater chez le saint un si parfait mépris des biens d’ici-bas ; malgré son refus ou peut-être sa peur de passer à la foi chrétienne, il pria cependant le serviteur de Dieu, afin d’être plus certainement sauvé, d’emmener tous ces présents et de les distribuer aux chrétiens pauvres ou aux églises. Mais le saint qui avait horreur de porter de l’argent, et qui ne découvrait pas dans l’âme du sultan les racines profondes de la foi vraie, s’y refusa inexorablement.
Observant que, sans voir exaucé pour autant son désir du martyre, il n’avançait à rien pour la conversion de ce peuple, averti d’ailleurs par Dieu en une révélation, il revint en pays chrétien. Voilà donc ce que Dieu, dans sa bonté, avait décrété, et ce que le saint avait mérité par sa générosité : en ami du Christ, il poursuivit pour Lui, de toutes ses forces, sa recherche de la mort sans jamais cependant la trouver ; il avait acquis cependant le mérite du martyre de désir, et s’il restait en vie, c’est que, par un privilège unique, il devait recevoir plus tard, de ce martyre, le sceau et le symbole : un feu divin si dévorant brûla son cœur qu’il finit par marquer visiblement sa chair.
O vraiment heureux toi dont la chair, sans passer par le fer d’un tyran, n’en fut pas pour autant privée de la ressemblance avec l’Agneau immolé! O vraiment et pleinement heureux, « toi dont le glaive du persécuteur n’a pas ôté la vie, mais qui n’as pas été frustré pourtant de la palme du martyre! »
3- Dans la Legenda Minor de Saint Bonaventure, Chapitre 3, 9
Le désir du martyre : quel meilleur témoignage pourrait-on découvrir de la ferveur du parfait amour portant vers Dieu cet ami de l’Epoux ? François ne désirait rien tant que s’offrir lui-même au Seigneur comme une hostie vivante,.Trois fois il tenta de passer chez les infidèles ; deux fois la divine Providence y fit obstacle, mais à la troisième tentative, après avoir connu toutes sortes d’avanies, la prison, la bastonnade, des peines et des difficultés de toute nature, il fut enfin mené, car le Seigneur était son guide, en présence du Sultan de Babylone. François lui annonça l’évangile du Christ ; l’Esprit-Saint et la puissance de Dieu lui communiquaient une telle force de persuasion, que le Sultan était dans l’émerveillement ; Dieu inclina son âme à la douceur et il écouta le saint avec bienveillance. A constater chez François ce cœur ardent, cette force d’âme, ce mépris de la vie, une éloquence si persuasive, le Sultan conçut pour lui attachement et dévotion : il le traita avec beaucoup d’égards, lui offrit de riches présents et le pressa de prolonger son séjour près de lui. Mais le saint, dans son parfait mépris du monde et de lui-même, rejeta comme de la boue tout ce qu’on lui offrait ; puis, constatant qu’il n’obtiendrait pas ce qu’il avait désiré, après avoir pourtant déployé loyalement tous ses efforts pour y réussir, revint en pays chrétien, averti d’ailleurs par Dieu en une révélation. Ainsi donc cet ami du Christ avait, de toutes ses forces, cherché à mourir pour lui, mais sans y parvenir ; il avait acquis cependant le mérite du martyre de désir, et s’il restait en vie, c’est que, par un privilège unique, il devait recevoir plus tard, de ce martyre, le sceau et le symbole.
4- Dans la Légende de Pérouse 37-38
Méditations de la Passion et de l’Humilité du Christ
Le bienheureux François souffrit pendant longtemps, et jusqu’à sa mort, du foie, de la rate et de l’estomac. De plus, au cours du voyage qu’il fit outremer pour prêcher au Sultan de Babylone et d’Egypte, il avait contracté une très grave maladie d’yeux causée par la fatigue et surtout par l’excessive chaleur qu’il eut à supporter à l’aller et au retour. Mais si ardent était l’amour qui emplissait son âme depuis sa conversion au Christ, que, malgré les prières de ses frères et de beaucoup d’autres hommes émus de compassion et de pitié, il ne se mettait pas en peine de soigner ces maux.
Chaque jour il méditait l’humilité et les exemples du Fils de Dieu ; il en éprouvait à la fois beaucoup de compassion et beaucoup de douceur, et finalement ce qui était amer pour son corps se changeait en douceur. Les souffrances et les amertumes endurées pour nous par le Christ lui étaient un perpétuel sujet d’affliction et une cause de mortification intérieure et extérieure ; aussi n’avait-il nul souci de ses propres souffrances.
Un jour, c’était peu d’années après sa conversion, il suivait seul la route qui passe prés de Sainte-Marie de la Portioncule et, tout en marchant, se lamentait et gémissait à haute voix. Un homme spirituel, que nous connaissons bien et qui nous a rapporté le fait, le rencontra alors. Cet homme avait témoigné au saint beaucoup de bonté et l’avait consolé avant qu’il eût un seul frère, comme il continua d’ailleurs de le faire par la suite. Il lui dit : « Qu’as-tu donc, frère ? » Il pensait en effet qu’il souffrait de quelque infirmité. Le bienheureux répondit : « Je devrais parcourir le monde entier, pleurant et gémissant ainsi sans fausse honte sur la Passion de mon Seigneur ! » Et cet homme se mit à gémir avec lui et à verser d’abondantes larmes.
Pendant sa maladie d’yeux, il endurait de telles souffrances qu’un jour un Ministre lui dit :
« Frère, pourquoi ne te fais-tu pas lire par ton compagnon quelque passage des Prophètes ou d’autres chapitres des Ecritures ? Ton âme exulterait dans le Seigneur et recevrait ainsi une immense consolation. » Il savait en effet que le bienheureux ressentait beaucoup de joie dans le Seigneur quand on lui lisait les divines Ecritures. Mais il répondit : « Frère, je trouve chaque jour une telle douceur et consolation dans le souvenir et la méditation de l’humilité manifestée ici-bas par le Fils de Dieu, que je pourrais vivre jusqu’à la fin du monde sans qu’il me soit nécessaire d’entendre lire ou de méditer d’autres passages des Ecritures. » Il se répétait souvent et redisait aux frères ce verset de David : Mon âme a refusé d’être consolée. C’est pourquoi, voulant être, comme il le disait fréquemment, l’exemple et le modèle de tous les frères, il refusait non seulement les médicaments, mais encore la nourriture qui lui eût été nécessaire dans ses maladies. C’est pour rester fidèle à ce programme qu’il était dur à son corps, soit quand il paraissait bien portant (encore qu’il fût toujours frêle et vulnérable), soit même au cours de ses maladies.
5- Dans les Fiorettis de Saint François, chapitre 24
Comment Saint François convertit à la Foi le Sultan de Babylone et la courtisane qui l’incitait lui-même à pécher
Saint François, poussé par le zèle de la foi du Christ et le désir du martyre, passa une fois outre-mer avec douze de ses très saints compagnons, pour se rendre tout droit près du Sultan de Babylone. Et ils arrivèrent dans un pays des Sarrasins, où les passages étaient gardés par des hommes si cruels qu’aucun des chrétiens qui y passaient ne pouvait échapper à la mort ; comme il plut à Dieu, ils ne furent pas tués, mais pris, battus et chargés de liens, puis menés devant le Sultan. Et en sa présence, saint François, instruit par l’Esprit-Saint, prêcha si divinement la foi du Christ que pour la prouver il voulait même entrer dans le feu. Aussi le Sultan commença-t-il à avoir une grande dévotion pour lui, tant pour la constance de sa foi que pour le mépris du monde qu’il voyait en lui, – car bien que très pauvre il ne voulait accepter aucun présent, – et pour la ferveur encore qu’il lui voyait pour le martyre. Dès lors le Sultan l’écouta volontiers, le pria de revenir souvent le voir, et lui accorda libéralement à lui et à ses compagnons de pouvoir prêcher partout où il leur plairait. Et il leur donna un signe grâce auquel personne ne pouvait les offenser.
Ayant donc reçu cette généreuse permission, saint François envoya deux à deux les compagnons qu’il avait choisis, dans les diverses régions des Sarrasins pour y prêcher la foi du Christ ; et avec l’un d’eux il choisit un pays, et quand il y arriva il entra dans une auberge pour se reposer. Or il y avait là une femme très belle de corps mais d’une âme sordide, et cette femme maudite incita saint François à pécher. Saint François lui dit : « J’accepte, allons au lit » ; et elle le mena dans sa chambre. Saint François dit : « Viens avec moi, je te mènerai à un lit beaucoup plus beau. » Et il la mena à un très grand feu qui se faisait dans cette maison ; et en ferveur d’esprit il se dépouilla tout nu et se jeta à côté de ce feu sur le foyer embrasé ; et il invita cette femme à se dépouiller et à aller s’étendre avec lui sur ce beau lit de plumes. Et comme il demeura longtemps ainsi, le visage joyeux, ne brûlant pas, ne noircissant nullement, cette femme, épouvantée par ce miracle et touchée de componction dans son cœur, non seulement se repentit de son péché et de son intention perverse, mais se convertit même parfaitement à la foi du Christ, et devint d’une telle sainteté que par elle beaucoup d’âmes se sauvèrent dans ce pays.
A la fin, saint François, voyant qu’il ne pourrait réaliser plus de fruits dans ces contrées, se décida, par révélation divine, à retourner parmi les fidèles avec tous ses compagnons ; et les ayant réunis tous ensemble, il retourna près du Sultan et prit congé de lui. Alors le Sultan lui dit : « Frère François, je me convertirai très volontiers à la foi du Christ, mais je crains de le faire maintenant ; car si les gens d’ici l’apprenaient, ils me tueraient avec toi et tous tes compagnons ; et comme tu peux faire encore beaucoup de bien et que j’ai à achever certaines affaires de très grande importance, je ne veux pas causer maintenant ta mort et la mienne. Mais apprends-moi comment je pourrai me sauver, et je suis prêt à faire ce que tu m’imposeras. » Saint François dit alors : « Seigneur, je vais maintenant vous quitter, mais après que je serai retourné dans mon pays et, par la grâce de Dieu, monté au ciel après ma mort, je t’enverrai, selon qu’il plaira à Dieu, deux de mes frères, de qui tu recevras le baptême du Christ ; et tu seras sauvé, comme me l’a révélé mon Seigneur Jésus-Christ. Et toi, en attendant, dégage-toi de tout empêchement, afin que quand viendra à toi la grâce de Dieu, elle te trouve disposé à la foi et à la dévotion. » Le Sultan promit de le faire, et il le fit.
Après cela, saint François s’en retourna avec le vénérable collège de ses saints compagnons ; et quelques années plus tard saint François, par la mort corporelle, rendit son âme à Dieu. Et le Sultan, étant tombé malade, attendit la réalisation de la promesse de saint François et fit mettre des gardes à certains passages, ordonnant que si deux frères, portant l’habit de saint François, venaient à s’y montrer, on les lui amenât immédiatement. En ce même temps, saint François apparut à deux frères et leur commanda de se rendre sans retard près du Sultan et de lui procurer son salut, comme lui-même le lui avait promis. Ces frères se mirent immédiatement en route, et après avoir passé la mer ils furent par ces gardes menés près du Sultan. Et en les voyant le Sultan eut une très grande joie et dit : « Maintenant je sais vraiment que Dieu m’a envoyé ses serviteurs pour mon salut, selon la promesse que, par révélation divine, m’a faite saint François. » Il reçut donc desdits frères l’enseignement de la foi du Christ et le saint baptême, et ainsi régénéré dans le Christ il mourut de cette maladie ; et son âme fut sauvée par les mérites et l’opération de saint François. A la louange du Christ. Amen.
François d’Assise et la rencontre avec le Sultan
Une expérience du passé qui nous ouvre sur le monde d’aujourd’hui!
Nous vivons de plus en plus dans une société où les différentes cultures se côtoient, s’entremêlent et s’entrechoquent même. Dans les grandes villes du pays il est plus facile de faire ce constat. Les habitants des zones urbaines vivent à côté des personnes d’origines ethniques diverses tandis que dans les milieux ruraux, cela est plutôt rare mais les gens savent par les médias ou par des connaissances que les personnes venant d’autres pays se font davantage présents.
C’est pourquoi Les Franciscains trouvent important d’entamer une réflexion active sur notre ouverture vers les autres cultures et les autres religions afin de diminuer les tensions, les intolérances et l’incompréhension. Plusieurs frères travaillent concrètement dans des organismes ou des projets de dialogues inter religieux s’inspirant en cela de l’expérience de François d’Assise avec le Sultan. Il est en effet inspirant de constater que même au Moyen-Âge, au temps de François d’Assise, des chrétiens ont voulu établir des relations harmonieuses avec d’autres religions, en particulier avec l’Islam, au lieu d’encourager la guerre et la violence.
Même si François d’Assise était allé rencontrer le Sultan dans l’idée de le voir convertir vers la religion chrétienne, il y a dans sa démarche une volonté de réconciliation et de paix. Et encore plus réconfortant, c’est que nous pouvons appliquer à notre temps les leçons de cette rencontre profonde, pleine d’humanité et de tendresse.
Les Franciscains souhaitent contribuer à l’éveil des jeunes sur l’existence d’autres cultures, d’autres religions que l’on se doit de respecter.
François d’Assise et le Sultan : La rencontre
Nous vous présentons l’histoire de cette rencontre entre François d’Assise et le Sultan tel que rapporté par Saint Bonaventure qui a écrit sur la vie de François et approuvé en 1266 par l’Ordre des Frères Mineurs (ofm). Nous nous sommes permis d’apporter quelques changements au texte original afin de le rendre plus accessible.
Nous sommes en 1219
« S’exposant avec courage aux dangers de tous les instants, François voulait se rendre chez le sultan de Babylone en personne. La guerre sévissait alors, implacable entre chrétiens et sarrazins, et les deux armées ayant pris position face à face dans la plaine, on ne pouvait sans risquer sa vie passer de l’une à l’autre.
Mais dans l’espoir d’obtenir sans tarder ce qu’il désirait, François résolut de s’y rendre. Après avoir prié, il obtint la force du Seigneur et, plein de confiance, chanta ce verset du Prophète: « Si j’ai à marcher au milieu des ombres de la mort, je ne craindrai aucun mal, car tu es avec moi ».
S’étant adjoint pour compagnon frère Illuminé, homme d’intelligence et de courage, il s’était mis en route traversant la mer et se retrouvant dans le pays du sultan. Quelques pas plus loin , ils tombaient dans les avant-postes des sarrazins, et ceux-ci, plus rapides, se précipitèrent sur eux. Ils les accablèrent d’injures, les chargeant de chaînes et les rouant de coups. À la fin, après les avoir maltraités et meurtris de toutes manières, ils les amenèrent, conformément aux décrets de la divine Providence, en présence du sultan: c’était ce qu’avait désiré François.
Le prince leur demanda qui les envoyait, pourquoi et à quel titre, et comment ils avaient fait pour venir; avec sa belle assurance, François répondit qu’il avait été envoyé d’au delà des mers non par un homme mais par le Dieu très-haut pour lui indiquer, à lui et à son peuple, la voie du salut et leur annoncer l’Évangile qui est la vérité. Puis il prêcha au sultan Dieu Trinité et Jésus sauveur du monde, avec une telle vigueur de pensée, une telle force d’âme et une telle ferveur d’esprit qu’en lui vraiment se réalisait de façon éclatante ce verset de l’Évangile: « Je mettrai dans votre bouche une sagesse à laquelle tous vos ennemis ne pourront ni résister ni contredire ».
Témoin en effet de cette ardeur et de ce courage, le sultan l’écoutait avec plaisir et le pressait de prolonger son séjour auprès de lui. Il offrit à François de nombreux et riches cadeaux que l’homme de Dieu méprisa comme de la boue: ce n’était pas des richesses du monde qu’il était avide, mais du salut des âmes.
Le sultan n’en conçut que plus de dévotion encore pour lui, à constater chez le saint un si parfait mépris des biens d’ici-bas.
François quitta le pays du sultan escorté par ses soldats ».
Que reste-t-il de cette rencontre ?
« Il semble, souligne Albert Jacquard (Le Souci des Pauvres, éd. Flammarion, 1996) que le sultan n’oublia pas le sourire de François, sa douceur dans l’expression d’une foi sans limite. Peut-être ce souvenir fut-il décisif lorsqu’il décida, dix années plus tard, alors qu’aucune force ne l’y contraignait, de rendre Jérusalem aux chrétiens. Ce que les armées venues d’Europe n’avaient pu obtenir, l’intelligence et la tolérance de Malik al-Kamil permettraient à l’islam de l’offrir. Sans doute le regard clair de François avait-il poursuivi son lent travail dans la conscience de cet homme ouvert à la pensée des autres ».
En réalité, cette distinction que l’on fait aujourd’hui entre les différentes religions cache la véritable opposition: celle du « Nord » contre le « Sud », et surtout des riches contre les pauvres. Car les musulmans eux aussi souhaitent bâtir un monde meilleur avec des valeurs humaines et spirituelles.
C’est pourquoi afin de continuer le travail de François d’Assise qui désirait ardemment tisser des liens avec les musulmans pour bâtir la paix, les Franciscains du Québec ont tenté des rapprochements avec les gens d’autres religions (amérindiens, bouddhistes, sikhs, hindous, juifs, musulmans et des chrétiens de plusieurs dénominations). Ensemble, ils cherchent des moyens pour faire face aux difficultés de notre temps: pauvreté, solitude, violence, drogue, etc.
À Montréal, les Franciscains ont organisé durant dix ans des prières qui rassemblaient des délégués de huit religions. Ces rassemblements ont suscité des initiatives diverses: prières interreligieuses organisées par des associations, des écoles, des prêtres ou pasteurs chrétiens; un groupe de femmes musulmanes et chrétiennes; un Conseil interreligieux.
Ailleurs, au Liban, aux Philippines et en Indonésie, des Franciscains et des musulmans s’unissent chaque année pour organiser et vivre un pèlerinage orienté vers la paix ou pour une cause sociale.
Dans une école primaire située à Tyr, au Liban, des moyens ont été mis en œuvre par les Franciscains pour respecter les différences mais aussi pour éviter de marginaliser un groupe au détriment de l’autre ou d’encourager la compétition entre les religions. Chaque classe, chaque équipe sportive, chaque groupe social compte des jeunes de chaque religion. Dans un match de football, par exemple, on ne verra pas une équipe formée exclusivement de musulmans jouer contre une équipe de chrétiens.
Comme on le constate il est possible de faire naître des initiatives entre des personnes de différentes religions et de vivre cette fraternité universelle dont François a tant rêvée.
Texte extrait du site www.franciscain.org
"Le Franciscain et le Soufi"
Pour approfondir
"Saint François et le Sultan", du Frère Gwenolé Jeusset OFM, Editions Albin Michel, collection Spiritualités vivantes
"Exil et Tendresse", du Frère Eloi Leclerc, Editions Franciscaines
Mise a jour de la page, le 16 juin 2020